Leçon de vie à partir d’une télé vintage

Article : Leçon de vie à partir d’une télé vintage
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17 octobre 2023

Leçon de vie à partir d’une télé vintage

Ça date de très longtemps. Une époque où nous étions loin d’imaginer que la technologie inventerait un jour de grandes télévisions écran plat.

En ce temps là, à Williamsville, seules quelques familles aisées de notre quartier avaient une télévision écran blanc-noir dans leurs salons. Des salons toujours envahis par une multitude de côcôs*. Que pouvions-nous faire, nous dont les parents n’avaient pas de télé ? Mes amis et moi nous rendions chez un grand type du nom de Soguotigui Clovis, Directeur des Ressources Humaines à la mairie. Son enfant était le seul qui partait avec 50 francs à l’école. Nous autres, plus pauvres, recevions de nos parents 10 francs comme argent de poche, parfois 5 francs qui arrivaient quand même à acheter le pain-sucré de la recréation.
     
Les pieds croisés dans la maison des Soguotigui, assis à même le sol et entassés comme des poulets, nous regardions des dessins animés, des films d’action et bien d’autres programmes diffusés par la chaîne nationale. Parfois, nos hôtes se montraient très méchants envers nous :

-Mais dites à vos parents d’acheter des télés afin que vous restiez chez vous ! Chaque soir vous venez remplir notre maison comme des criquets. Beaucoup d’entre vous ne se lavent pas. Les odeurs de vos aisselles nous indisposent !🤦🏾‍♂

La famille Soguotigui nous parlait avec beaucoup de mépris, mais cela n’empêchait pas que nous revenions le lendemain pour regarder leur télé. Ça coûtait tellement une fortune que tout le monde ne pouvait s’offrir ce luxe… On nous parlait mal, mais on était toujours krangba*.
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Après quelques dizaines d’années, les temps ont beaucoup changé. Ayant quitté mon quartier d’enfance pour des études en Europe obtenues à partir d’une bourse, je suis revenu au pays pour travailler. Éprouvant la nostalgie des visages qui m’ont vu grandir, je suis allé à Williamsville… Comme la maison des Soguotigui, autrefois attrayante, était devenue une épave ! Une maison ridée, peuplée d’aisselles aux odeurs nauséabondes. Monsieur Soguotigui Clovis, très âgé et à la retraite, s’est souvenu de moi. Il me parla de ses ennuis de facture. La compagnie d’eau lui avait coupé le compteur à cause de ses impayés. Deux semaines que les occupants de la maison et lui, n’avaient pris de douche. Les Soguotigui étaient devenus les plus pauvres du quartier tandis que ceux qu’ils recevaient autrefois dans leur salon à la télé prisée, vivaient une situation des plus reluisantes. Ah la vie ! Qui aurait cru que la famille Soguotigui solliciterait un jour ma bienveillance ?

Photo : LCB

  • – Bancé c’est dans cette maison que tu regardais la télé quand tu étais petit. Aujourd’hui, nous n’avons plus rien. Tellement rien que nous n’avons même pas de télé sur notre table à part ce vieil écran 14 abîmé, démodé, qui sert aujourd’hui de refuge aux araignées et aux cafards. Si tu en as les moyens, on voudrait bien que tu nous offres une télé Plasma, ce qui est la mode…
Photo : LCB

Je n’ai pas hésité à réaliser le rêve des Soguotigui après leur sollicitation. Je l’aurais fait de toute façon, sans même avoir été interpellé. Très heureux de réceptionner leur télévision de marque LCB, la famille a débarrassé leur table de leur écran blanc-noir… Empêchant qu’elle ne jetât cette télé vintage à la poubelle, je l’ai mise sur mon épaule et l’ai emportée avec moi, dans ma voiture. Je crois que je la mettrais quelque part dans ma maison. Ainsi chaque fois que je la verrais, je me souviendrais que l’humilité est une valeur dont il ne faut jamais se départir et que les matériels les plus adulés aujourd’hui finiront par être le refuge des araignées et des cafards, demain. 🙏🏼

Louis-César BANCÉ

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Argot ivoirien

Côcô : quemandeur

On nous parlait mal mais on était toujours krangba :

leur discourtoisie ne nous empêchait pas de revenir regarder leur télé

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