Un fou entre dans un maquis et demande qu’on lui serve un vin

Article : Un fou entre dans un maquis et demande qu’on lui serve un vin
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6 octobre 2023

Un fou entre dans un maquis et demande qu’on lui serve un vin

Ça s’est passé il y a quelques jours. Je crois que c’était ce mardi 3 octobre. Je suis sorti de la maison, et allant au parking pour prendre ma voiture, j’ai été attiré par une foule attroupée devant un maquis-cave. Il y avait un gbafou* là-bas. De chaudes discussions. Et aussi des disputes. En ma qualité de journaliste-blogueur, scribe qui renifle toutes les intrigues dans son environnement, je me suis approché de la scène pour savoir ce qu’il en était…

Permettez-moi de vous relater les faits au présent du narratif en me conformant aux témoignages reçus.


Yopougon* quartier-Maroc, non loin du collège Saint Pierre Marie. Un monsieur de la quarantaine arrive dans un maquis*, et demande qu’on lui serve une bouteille de vin. La serveuse s’exécute sans savoir que le nouvel arrivant est un fou. Un fou qui ne laisse rien souspçonner de son déséquilibre, à en juger sa tenue vestimentaire et corporelle correcte. Il s’immisce même dans des conversations avec d’autres clients, en montrant une cohérence dans les idées. En plus il se montre très généreux :

-Serveuse, offrez une bouteille de vin à ce gars-là !

La serveuse obéit. Quelques minutes plus tard, elle est à nouveau sollicitée par le fou :

-Un autre vin au monsieur à ma droite !

Voici le type de client qu’un maquis rêve d’avoir. Un client qui n’a pas peur de dépenser. De plus, il n’a pas peur de draguer…

Une jeune fille, dans une tenue sexy, passe devant le maquis. Elle se fait aussitôt héler par le fou, qui l’invite aimablement à prendre un pot avec lui. La demoiselle n’y trouve pas d’inconvénient, voyant peut-être l’occasion idoine de manger à sa faim, et de boire aussi. À Abidjan, c’est comme ça. Elles sont nombreuses à avoir faim. Si vous osez, vous les décrocherez ! Enfin, pas elles toutes, mais quelques-unes.

Photo : Capitaine Guzman

La jeune fille sexy, en petite robe rose, est assise à la table du fou. Ce dernier ne lui demande pas son avis :

-Serveuse, apportez-lui un vin !

Le vin semble ne pas déplaire à la go. On le lui sert. Elle se met à siroter, assise juste à côté de son prétendu pointeur*. Au bout d’un moment, le fou demande encore qu’on serve à boire à un autre client du maquis. Ça ferait cinq bouteilles au total ! soit 15.000 francs en raison de l’unité à 3000. En ce moment-là, la propriétaire du maquis, restée jusque-là silencieuse, commence à trouver une telle générosité intriguante. Elle demande à la serveuse d’anticiper sur l’encaissement. La serveuse s’avance vers le fou et réclame d’abord le paiement avant de devoir envoyer une autre bouteille. À sa grande surprise, le fou lui demande :

-Ahi ? Donc ici-là quand on boit on paye ?

La patronne et la serveuse pensent à une blague. Perturbées, angoissées, irritées, elles s’arrêtent toutes les deux devant le fou en réclamant nerveusement leur argent. Le généreux client insiste : « Donc ici-là quand on boit on paye ? » Le mercure de la colère monte. Les deux femmes hurlent, alertant quelques habitants du quartier qui s’amènent sur le lieu. Parmi la foule venue s’informer, se trouvent quelques personnes qui connaissent bien le fameux client boucantier. Elles éclairent la lanterne de tout le monde :

-Vous ne connaissez pas ce monsieur-là ? Mais il ne fallait pas lui servir à boire ! C’est un fou ! Plusieurs fois il s’est échappé de l’hôpital psychiatrique. Il n’en a pas l’air, mais c’est vraiment un fou.

Crédit photo : Capitaine Guzman

Les tenancières du maquis, complètement abasourdies, désabusées, ne savent plus où donner de la tête. Elles se mettent à brutaliser le généreux client et à fouiller dans ses poches. N’y trouvant rien, elles se rabattent sur les clients à qui il a offert la boisson :

-C’est vous qui allez payer, hein !

-Et pourquoi ? se défendent les bénéficiaires. Ce n’est pas nous qui avons commandé !

-D’accord, mais soyez un peu de bonne foi en payant, puisque c’est vous qui avez bu !

La jeune fille sexy que le fou a invitée, est embarrassée. On lui intime aussi de régler sa facture. Mais elle ne se laisse pas faire :

-Ce n’est pas à moi de payer ! J’ai été invitée…

-Tu as été invitée, donc vous vous connaissez ? demande la patronne.

-Je ne le connais pas. Je l’ai trouvé gentil, et je suis venu quand il m’a appelée. Je ne savais pas qu’il a des problèmes mentaux. En tout cas, encaissez ailleurs. Je n’ai pas 5 francs où je suis là !

Quant à moi qui vous relate ce récit, je suis arrivé au moment où la jeune fille répliquait aux questions des tenancières du maquis. Je me suis arrêté un peu pour m’affairer, interroger les uns les autres, avant de m’en aller. Au moment où je partais, il y avait toujours de vives disputes dans ce maquis-cave près de Saint Pierre Marie…

Louis-César BANCÉ

*Gbafou : argot ivoirien, querelle

*Yopougon : commune populaire d’Abidjan, Côte d’Ivoire

*Maquis : une sorte de bar à ciel ouvert

  • *Pointeur : de l’argot ivoirien, dragueur
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