Youssouf Bakayoko : la vérité sur l’assassinat de son domestique

Article : Youssouf Bakayoko : la vérité sur l’assassinat de son domestique
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3 octobre 2023

Youssouf Bakayoko : la vérité sur l’assassinat de son domestique

 

C’est en 2006-2007 que je commence à vendre les CD, dans la commune de Marcory. Marchand ambulant, en plus des disques, je me promène quelques fois avec des électroménagers transportables, à l’affût des clients. Un matin de bonne heure, j’en rencontre un de très aimable au quartier résidentiel. C’est un monsieur de la quarantaine. Cheveux courts bien limités, yeux étroits étirés, superbement habillé en costume, il s’intéresse à mes marchandises et en prend une quantité près de la boutique où nous sommes assis. Une boutique située à l’entrée de la cité où habite Youssouf Bakayoko, ministre des affaires étrangères du gouvernement Gbagbo. Mon nouveau client, qui fait le choix d’une bonne quantité de CD, me semble quelqu’un d’important. Nous discutons dans une bonne ambiance, et il ne tarde pas à se dévoiler :

– Je suis le chauffeur du ministre Youssouf Bakayoko, depuis une vingtaine d’années. On va échanger nos numéros, comme ça chaque fois que tu as des nouveautés, je pourrais en prendre.

Pour illustrer mon récit, je me suis rendu ce matin du 3 octobre 2023 à Marcory Résidentiel. Ici, je suis assis à la boutique où j’ai rencontré le chauffeur pour la première fois, au cours de l’année 2006 ou 2007…

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    Le chauffeur a une carrure, une parure qui font penser à un grand type. D’ailleurs, ne l’est-il pas grâce à son poste auprès d’un grand de ce pays ? Nous restons en contact, et régulièrement il achète des CD avec moi, ainsi que des appareils DVD et autres électroménagers. Quand ses proches lui demandent où il fait ses achats, il me présente à ces derniers. Mon arbre clientèle s’étend donc au contingent sécuritaire de Youssouf Bakayoko constitué d’une pléthore de gendarmes et de policiers. Les domestiques de la maison, parmi lesquels Seydou le boy, sont désormais mes clients. En paiement échelonné, ils achètent des télés avec moi, des CD, des appareils DVD à port USB, des mini-chaînes… Parfois, pour s’assurer du bon état des appareils, ils me font entrer dans la maison où près du jardin, se trouve une petite pièce qui sert de magasin et dans laquelle nous recourons aux prises électriques. J’ai déjà rencontré au moins trois fois Youssouf Bakayoko en personne, à l’intérieur de la villa. Pendant 4 ans, les choses se passent à merveille entre son personnel et moi. Seydou le boy m’emmène à son domicile familial d’Anoumabo afin que je l’aide à faire le branchement et la programmation de ses appareils. C’est un père de famille jovial qui mène une vie insoucieuse dans une cour commune délabrée. Il y est très rarement, puisque c’est au sein de la villa de son employeur qu’il réside. À Anoumabo, l’habitation de Seydou est sombre. Je ne me souviens plus si elle est en baraque ou en dure. Ce dont je suis certain, c’est que ça n’a rien de confortable. Le chauffeur et lui m’ont dit être au service du Boss depuis une vingtaine d’années ! Seydou en est fier. Quand il parle de son patron, on voit qu’il se sent très honoré d’être son homme de chambre. Il le dit, sans imaginer l’ombre d’un instant qu’il perdrait la vie lors de la crise post-électorale de 2011, période pendant laquelle son patron est Président de la Commission Électorale Indépendante.

    Les circonstances de la mort de Seydou que je vais vous raconter maintenant, je les écris en fonction des témoignages recueillis auprès de la garde rapprochée de Youssouf Bakayoko. Les proches de Seydou que j’ai également interrogés le lendemain de son assassinat, m’ont tous donné des versions qui concordent avec celles des corps habillés. 

    Un soir de mars 2011, la TCI, la télé depuis le Golf Hôtel, fait passer un communiqué urgent dans lequel elle annonce l’assassinat de l’homme de chambre de Youssouf Bakayoko. Des médias, tel qu’on le voit dans l’image illustrative, corroborent l’info. Tous, accusent les patriotes du camp Gbagbo d’avoir pillé le domicile du Président de la CEI et assassiné son domestique.

Je ne connais qu’un seul homme de chambre de Youssouf Bakayoko : Seydou, dont le nom est d’ailleurs clairement mentionné dans les dépêches. J’ai froid dans le dos. Je me pose des questions. Comment cet homme sans histoire, qui ne fait pas de politique, peut-il être victime des dérives de la politique ? Quand j’arrive à Marcory Résidentiel le lendemain de l’assassinat de Seydou, je découvre que les informations relayées par la presse ne sont qu’une manipulation, une récupération politique. Le domicile de l’ex-ministre des affaires étrangères n’a nullement fait l’objet de pillage !

     De son vivant, Seydou est très proche d’une jeune femme du nom de Awa. Vendeuse de produits cosmétiques, tresseuse, elle a son conteneur implanté juste au carrefour de la cité du patron de la CEI. Seydou est régulièrement chez cette brave travailleuse. Il a fait d’elle sa confidente. Je crois que ces deux personnages ne peuvent que s’entendre avec leurs similarités du point de vue comportemental : ils sont travailleurs, loyaux, et surtout logorrhéiques. Oui, ils aiment les longues causeries et sont entendues très loin tellement leurs voix sont résonnantes. Avant son assassinat, Seydou a eu le temps d’informer Awa sur une invitation au complot, à la conspiration…

Le conteneur en jaune est celui d’Awa, la confidente de Seydou

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     En pleine crise post-électorale, Youssouf Bakayoko s’envole pour la France, sans doute pour des raisons sécuritaires. Mais avant de s’en aller, il a caché dans une pièce de sa villa, une mallette contenant beaucoup d’argent. On parle de centaines de millions ! Le chauffeur est au courant de l’existence de ce pactole. Seydou aussi bien évidemment. Permettez qu’on donne au chauffeur un nom d’emprunt pour préserver son identité. Appelons-le Jérémie. 

     En l’absence du patron, Jérémie nourrit des idées saugrenues. Il propose à Seydou d’accaparer tous les deux la mallette d’argent, de se partager le contenu, et d’aller vivre chacun loin de la Côte d’Ivoire, avec leurs familles, enfin riches et à l’abri de tout besoin ! Si le chauffeur s’est vu contraint d’associer le boy à son projet, c’est parce que Seydou détient les clefs qui donnent facilement accès à la cellule au magot. Un tel projet semble compliqué de réalisation sans la participation du précieux collègue. Au grand désarroi de Jérémie, Seydou ne mord pas à l’hameçon. Il s’oppose au hold-up et affirme à son interlocuteur que son éducation ne lui a pas enseigné le vol, le bien mal acquis. Dès lors, le compte à rebours commence pour le chauffeur qui craint que son collègue ne vende la mèche au patron et plombe tout à l’eau. Seydou a juste le temps de se confier à Awa. Il raconte à sa confidente le deal suggéré par Jérémie, et qu’il a décliné. Quelque temps plus tard, Seydou reçoit un coup de fil trompeur. Il se dirige vers la boulangerie qui fait face à la bâtisse des Impôts de Marcory. En cours de route, deux quidams l’approchent et ouvrent le feu sur lui. Le font-ils en dérobant les clefs que le domestique transporterait ? Selon les riverains qui ont vu Seydou s’écrouler et agoniser, ses derniers mots ont été : « Ehé, Jérémie ka’a n’faga. » Traduit du malinké,  »Jérémie m’a tué ». 

La ruelle du Résidentiel où Seydou s’est écroulé sous une arme à feu

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    Sans être physiquement présent sur la scène du crime, Jérémie est accusé d’avoir commandité l’opération, à s’en fier aux dernières paroles de son collègue. Une fois l’encombrant homme de chambre éliminé, le chauffeur accède aisément à la pièce au magot et sort de la villa, en voiture, le sac d’argent en sa possession, sous les yeux incrédules des gardes qui ne savent encore rien de ce qui vient de se passer. C’est plus tard qu’ils comprendront avoir été des acteurs secondaires d’un film dramatique… 

Entrée principale de la villa de l’Ambassadeur Youssouf Bakayoko

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    Le chauffeur a quitté la villa et n’est plus jamais revenu, depuis Mars 2011 à aujourd’hui. Douze ans qu’il s’est fondu dans l’air sans que plus personne n’entende parler de lui. Pendant tout ce temps, j’ignore si une plainte a été portée contre lui. N’aurait-il pas été assez complexe de le faire au regard d’un dossier travesti par la presse ? En publiant ce témoignage, je ne voudrais pas non plus qu’on fasse de la récupération en mettant certaines culpabilités sur le compte de la supercherie. S’il est vrai par exemple que des jeunes patriotes ont eu à calciner des populations civiles, notamment à Yopougon, il est tout aussi vrai que ces jeunes patriotes sont loin d’être ceux qui ont causé la mort de Seydou, le domestique de l’ex-président de la CEI.

Un bonjour à Ernest. Je l’ai connu en 2006, à Marcory Résidentiel. C’est un témoin du triste destin de Seydou. Sur cette photo, nous sommes au carrefour de la résidence de Youssouf Bakayoko

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Les informations contenues dans cet article sont complètement erronées. Seydou a été tué par son propre collègue

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Cette histoire devrait pouvoir aussi mettre la puce à l’oreille de tous ces bourgeois pour qui un personnel est aux ordres : vos valets sont-ils suffisamment bien traités, rémunérés à la hauteur de leurs efforts ? À la hauteur du rang de leurs patrons ? N’oubliez pas qu’ils vous observent et qu’ils ont tout abandonné, pour se consacrer entièrement à votre bien-être. Faites en sorte que leur travail leur permette de se créer une vie décente, pour eux et leurs familles. Faites en sorte qu’ils soient pris d’admiration pour vous, et non d’un sentiment d’aigreur qui pourrait les amener à être des Jérémie en vous causant tôt ou tard, de fâcheux préjudices. Ne faites pas de votre personnel, votre maillon faible. Faites-en votre premier écu, votre premier protecteur !

Louis-César BANCÉ

banceglory@yahoo.fr

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