Interview de l’écrivain Alain Mabanckou

Article : Interview de l’écrivain Alain Mabanckou
Crédit: Harald Krichel - Wikimedia Commons
8 septembre 2024

Interview de l’écrivain Alain Mabanckou

Ce vendredi 6 septembre 2024, j’ai été honoré de rencontrer l’éminent homme de lettres, Alain Mabanckou, Prix Renaudot 2006 avec son roman Mémoire de porc-épic. Il m’a accordé une interview conviviale dans une rue de Saint-Lazare, à Paris. Nous avons discuté de lecture, d’écriture et des rapports entre la littérature et l’Afrique.

Crédit : Alain Mabanckou (avec son accord)

Bonjour Alain Mabanckou, et merci pour l’honneur que vous nous faites. 

Merci de me recevoir sur votre blog. Ça fait plaisir de voir des jeunes qui viennent aux signatures de livres. Lisez parce que c’est fondamental, c’est ça qui est essentiel dans l’existence. 

Alain, quand tu étais enfant à Pointe-Noire, votre mère vous faisait la chasse pour que vous étudiez. Elle était analphabète. Par contre, papa, lui, revenait du boulot avec des livres et vous interdisait formellement de les toucher. 

C’était quand même paradoxal ,parce que quand j’avais un père qui avait des livres et qui m’interdisait de les toucher. C’est peut-être aussi parce qu’il pensait à cette époque-là que les livres étaient subversifs, que les livres polluaient l’esprit. Mais en fait, j’ai compris qu’il voulait se les garder pour les lire tranquillement quand il serait à la retraite. Finalement, il ne les a jamais lus et c’est moi qui ai fini par les lire plus tard. 

Alors, vous transgressez l’interdiction de papa en dévorant ses livres. On aimerait savoir : quel est le livre que vous avez découvert parmi cette panoplie, et qui vous a particulièrement séduit ?

Oh, il y a un livre déjà de littérature africaine qui s’appelle L’Enfant noir de Camara Laye. C’est un livre qui parle de la Guinée Conakry, de Yamoussoukro. C’est un livre sur la fondation même de nos sociétés africaines, avec les traditions, le serpent noir, le peuple Ahoussa. Ça m’a donné à ce moment-là envie de toujours lire des livres qui parlent de l’Afrique. Mais il y avait aussi des livres européens, Le Livre de ma mère d’Albert Cohen, La Peste d’Albert Camus, ou L’Étranger. Ce sont des livres que j’ai découverts dans la bibliothèque de mon père.

Vous étiez très jeune…

Oui, j’ai commencé à lire très jeune. Les autres jouaient au football, moi j’étais nul. Je disais aux joueurs, écoutez, comme je suis nul, mettez-moi au moins comme gardien de but. On me mettait gardien et puis on nous gagnait toujours par 11 à 12 à 0. Et on me disait, tu es nul, tu ne peux pas être gardien. Et c’est à ce moment là que j’ai commencé à lire mes livres tranquillement.

Alors, est-ce que c’est de là-bas que naît en vous cette flamme de devenir écrivain ? Ou bien, vous avez nourri ce rêve au gré des circonstances ?

Je pense qu’il y a l’enfance qui joue beaucoup dans le devenir d’un écrivain. L’écrivain, c’est celui qui a réussi à garder les rêves de son enfance dans toute leur innocence. Donc plus vous visitez votre enfance, plus vous devenez un écrivain. Et puis, il y a aussi les circonstances, les circonstances de la vie, les gens que vous rencontrez, les pays que vous traversez, les cultures que vous embrassez, la littérature, c’est un peu tout cela.

C’est pour cela que la vie que nous menons doit être retrouvée dans les livres que nous lisons. Si aujourd’hui beaucoup de gens ne lisent pas, c’est parce qu’ils ne retrouvent pas leurs vies à l’intérieur des livres. Alors de ce fait, essayons parfois aussi de penser que les livres sont écrits par des gens qui souhaitent donner de l’espoir à travers la fiction.

Alors, quand vous aviez 12 ans, 15 ans, est-ce que vous imaginiez qu’un jour vous deviendrez cette figure emblématique de la littérature aujourd’hui ?

Non, je ne pense pas qu’on imagine ce qu’on pourrait devenir. On espère devenir quelqu’un dans la vie, mais je n’ai jamais été gourmand au point d’anticiper les étapes que je devais franchir. Le succès n’est jamais inscrit quelque part, sinon tout le monde l’obtiendrait. Et c’est par le travail que vous faites, par l’originalité que vous mettez dans votre travail que vous commencez à vous distinguer de la masse, et une fois que vous vous distinguez de la masse vous devenez une voix. Les gens s’identifient à votre création. Et moi j’ai eu cette chance qu’après avoir écrit des romans, le lectorat puisse s’agrandir et que je ne sois pas lu que par l’Afrique. Je suis traduit dans plus de vingt langues. On me lit aussi bien en Angleterre, en Allemagne, au Portugal, au Brésil que dans les pays européens.

Et ça, c’est une fierté pour l’Afrique !

Je pense que nous devons quand même revendiquer cette fierté collective. Si je n’étais pas africain, serais-je là, aujourd’hui, je ne sais pas ?

Crédit : Alain Mabanckou (avec son accord)

Un de mes abonnés de Facebook m’a dit de vous demander pourquoi vous ne partagiez pas votre savoir dans les universités africaines, vous qui enseignez à l’université de Los Angeles. Est-ce que ce n’est pas une fuite de cerveau dont souffre l’Afrique à travers vous ?

Ce n’est pas une fuite de cerveau. On ne force pas les choses. Aucune université africaine ne m’a demandé de venir enseigner. Aucune université ne m’a proposé de venir enseigner. Aucune université d’ailleurs ne propose à beaucoup de diplômés africains qui traînent parfois en France d’aller enseigner. Moi, les Américains m’ont appelé pour aller enseigner. Le Collège de France m’a appelé pour aller enseigner. L’école Polytechnique de Zurich m’a appelé pour aller enseigner. Je suis allé. Donc je vais là où je peux aussi exploiter ce que j’ai. Ça sert à quoi d’avoir des ingrédients et de ne pas faire la cuisine. Mais il reste que chaque fois, je vais toujours dans certaines universités africaines. Je fais des conférences, mais de là à dire que j’aille enseigner ici ou là bas ce n’est pas encore le cas jusqu’à présent.

Vous avez réussi à inculquer l’amour de la lecture à votre fille. Je connais plein d’écrivains, plein d’hommes de lettres qui n’ont pas réussi cela. Leurs enfants ont complètement dévié, ils n’aiment pas les livres. C’est quoi votre secret ? Comment êtes-vous arrivé à inculquer cet amour de la lecture à votre enfant? 

Je crois que je ne l’ai pas forcé à lire, mais elle m’a toujours vu le faire. C’est dans le sang aussi, et elle a compris que la culture était nécessaire pour comprendre le monde et ses évolutions. Ça me fait plaisir de la voir vraiment se former intellectuellement, de s’épanouir. C’est une fierté en tant que père.

Avant de vous arracher votre dernier mot, j’ai un peu sillonné les grandes librairies de Paris. J’ai aussi appelé des gens en Belgique, en Suisse. C’est difficile de trouver des romans africains édités en Afrique, et de les retrouver dans les rayons européens. À part les Mabanckou, les Gaël Faye, on n’en trouve pas assez. Ils sont quasiment inexistants. Pourtant, les livres européens sont présents dans les librairies en Afrique. Qu’est-ce que vous pensez de ce déséquilibre en termes de partage culturel ?

Mais en fait, c’est un problème économique. Les éditeurs qui sont en Afrique doivent s’appuyer sur des structures économiques et ça leur coûterait plus cher. Imaginez un éditeur congolais qui fait en CFA et qui envoie des livres en Europe. Le coût sera tellement exorbitant ! Donc c’est plus un problème économique et aussi c’est un problème de monopole. Parfois l’espace européen fait des règles telles qu’ils ne veulent pas être envahis aussi par l’importation des livres sans passer par des distributions liées à des firmes compliquées ici et là. Et malheureusement, nous sommes dans une situation où il faut plutôt développer beaucoup de librairies en Afrique.

Crédit : Alain Mabanckou (avec son accord)

Quel conseil pour vos jeunes écrivains ?

Un conseil, continuer à écrire et si vous voulez j’ai écrit un livre qui s’intitule « Lettres à un jeune romancier sénégalais ». Tout y est.

Interview réalisée par Louis-César BANCÉ

Étiquettes
Partagez

Commentaires