Les réseaux sociaux, une célébration de la médiocrité ?

Article : Les réseaux sociaux, une célébration de la médiocrité ?
Crédit: AMISOM - Iwaria
25 juillet 2024

Les réseaux sociaux, une célébration de la médiocrité ?

Je lis des gens qui disent que notre société actuelle est propagandiste de la médiocrité, à travers l’usage néfaste qu’elle fait des réseaux sociaux. On se plaint de la célébration des lies au détriment des crèmes. Des analystes en veulent pour conséquences la course à l’enrichissement incriminant, la dépravation des mœurs, la déviation des médias professionnels…

Avant l’avènement des réseaux sociaux, les buzz ont pourtant toujours existé. En Occident, les paparazzis les alimentaient en épiant les célébrités, les télévisions montraient une compilation vidéo de bêtisiers. En Côte d’Ivoire particulièrement, les journaux people ont servi leurs lecteurs sur des sujets, qui, à priori, ne devraient rien pouvoir apporter comme solution aux problèmes des Ivoiriens : la cicatrice sur le visage de la chanteuse Chantal Taïba, on disait que c’était du fait de sa rivale. Les deux femmes se seraient empoignées à cause d’un même homme qu’elles partageraient : Georges Taï Benson. Dans les quartiers, les gens ont épilogué sur les relations amoureuses d’Houphouët-Boigny*. On lui prêtait une aventure avec une secrétaire, laquelle jouissait de moult privilèges dans le domaine professionnel…

Les buzz de l’époque

Il y a un monsieur qu’on appelait Brad Harris. Il vivait à Daloa et faisait des grimaces avec sa bouche et ses dents. Ajouté aux rires qu’il suscitait, il était capable de déplacer une voiture en la tirant avec ses dents reliées à une corde. Le téléphone n’existant pas, il n’y a eu personne pour le filmer et faire de lui une vedette. Rien que ses simagrées auraient fait de lui un Dougoutigui* des temps anciens. Dans la même ville, un malien du nom de Baba Diarra avait des talents de gros mangeur. Tout seul, il était capable de finir un bœuf. Vous faites de gros yeux ? Baba aurait été populaire bien avant Lo Père Daloa s’il avait pu se filmer pour se montrer au monde… L’inexistence des réseaux sociaux ne lui a pas servi. Il aurait pu faire la une de l’actualité et se faire recevoir par Houphouët-Boigny !

Les enrichissements répréhensibles ont toujours existé avant l’ère du Meta. Des décapitations sur conseil d’un marabout, des pactes ritualistes, des affaires de meurtre en sorcellerie… Des faits divers gravissimes rapportés par Soir Info* et autres journaux conventionnels. Les malversations posées par les humains ne sont donc pas nées de la dernière pluie. De quoi nous parle-t-on lorsqu’on accuse Internet de tordre le cou aux vertus ? Demandez à Tina Spencer* si elle savait qu’un jour existerait une télé miniature appelée téléphone lorsqu’elle faisait ses dédjas à l’époque. Posez la même question aux Tueuses du Mapouka, qui ont provoqué un tollé. Il n’y avait pas le Meta, mais beaucoup de jeunes garçons ont été séduits par le hold-up réalisé par Sia Popo Prosper. Certains petits gars rêvaient d’accomplir de leur vie le même exploit que ce bandit. Sont-ce les réseaux sociaux qui les y ont inspirés ? Pauvres réseaux sociaux, accusés à tort par des analystes aux réflexions étroites !

Le comportement des hommes n’a pas changé, c’est seulement la technologie qui a évolué.

La vulgarisation des plateformes numériques a amplifié l’accessibilité à l’information, de sorte qu’on a l’impression que les dérapages ne commencent que maintenant alors qu’ils n’ont cessé leurs remue-ménage depuis mathusalem. Cependant. Qui vous dit que tout le monde veut devenir Dougoutigui ? Connaissez-vous le nombre de personnes qui entrent chaque année à l’INFAS, à l’ENA, l’ENS, à l’Université, pour devenir des futurs sages-femmes, infirmiers, enseignants, médecins, professeurs, architectes et j’en passe ? N’allons pas dans l’exagération, ceux qui font l’actualité sur la toile avec des faits banals ne sont pas nombreux. Juste une poignée d’individus qui, sans les médias classiques, se seraient quand même fait connaître. Car aujourd’hui, les médias ont changé de visage. Il suffit d’avoir un téléphone et Facebook, pour être un média. Dès lors qu’on peut relayer une publication, on a une importance en termes de communication. Ce sont donc les populations les premiers relais, les premiers médias. Et ce n’est pas parce qu’elles constituent des relais pour certaines banalités qu’elles auraient oubliées leurs rêves, leurs chemins. Chacun suit sa voie sans se détourner de son idéal.

Une source de divertissement

D’ailleurs, en parlant de banalités, et si on regardait les choses avec un peu plus de jugeote ? Ceux qui font les pitres et qui glanent des succès apportent aux internautes des moments de divertissement. Après une journée de travail, on peut se relaxer en regardant les bouffonneries de Pappy Power. Apoutchou National, qu’il est marrant quand il s’exprime ! La vidéo de Dougoutigui, Savon dans mon Zoreille, a eu quelque chose de distrayant.

Pas besoin d’aller dans une salle de spectacle pour se délecter d’un théâtre au clair de lune : Aïcha Tremblé nous le donne bien, avec ses épaules vibrantes aux côtés de ses camarades à la joie de vivre contagieuse. Est-ce le Pilote, le Physicien, le Psychiatre, le Diplômé chômeur aigri, qui devront la descendre aux gémonies, eux qui ont la lumière de l’alphabet au contraire d’une pauvre analphabète d’un village perdu dans un pays pauvre d’Afrique de l’Ouest ? Très intelligent et humaniste qu’il est, l’animateur Willy Dumbo sait que le président de la République, Premier citoyen du pays, n’est pas au-dessus du dernier citoyen à l’avenir hypothéqué. Willy peut tourner un Chef d’État en dérision autant qu’il peut réaliser une capsule humoristique sur un Paria. Et puis après, se réjouir d’avoir offert des opportunités à un exclu victime de préjugés. Se réjouir de ce qu’un Père Daloa puisse payer la scolarité de ses enfants. Se réjouir de ce qu’un Bébé sans os de Man soit capable de sortir sa mère du besoin. Se réjouir que Congélateur et Manadja prennent l’avion pour Paris et être des sources de revenus pour leurs familles. Se réjouir que le petit Freddy ait trouvé le chemin de l’école après son buzz… Se réjouir de ce qu’une Aïcha Trembler* puisse offrir des enveloppes et des sacs de riz à sa maman, là où la madré ne s’y attendait même pas. La pauvre ! aucune Réussite sociale n’est sortie de sa progéniture ! Heureusement que l’absurdité de la toile peut agréablement surprendre ceux qui n’espéraient plus rien de cette égocentrique société !

On voudrait rendre la distribution du bonheur sélective ? Au nom de quel égoïsme ou de quel paradigme ? Célébration de médiocrité ? Bien médiocre de penser que les « médiocres » n’ont droit à rien, et vous, les prétendus élitistes, droit à tout. Ceux que vous dénigrez, qu’ils soient même les derniers de la classe, ont aussi droit au bonheur. Aïcha, trembléeee !

Louis-César BANCÉ


Houphouët-Boigny : Premier Président de la Côte d’Ivoire

Soir Info : Journal ivoirien

Tina Spencer : Chanteuse ivoirienne, mère de Dj Arafat

Dougoutigui : Pseudo d’un jeune ivoirien quu fit le buzz sur Facebook grâce à une vidéo

Tueuses du Mapouka : un groupe de chanteuses ivoiriennes qui eurent du succès dans les années 90

Sia Popo Prosper : jeune ivoirien ayant dévalisé une banque

Pappy Power : influenceur ivoirien

Bébé sans os de Man : artiste ivoirien que l’opinion considère comme un guignol

Aicha Trembler : jeune villageoise du Burkina Faso qui a eu du succès grâce à une danse relayée sur les réseaux sociaux

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