Sorcellerie au village : le troc de vie

Article : Sorcellerie au village : le troc de vie
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10 avril 2023

Sorcellerie au village : le troc de vie

Au village, tout le monde prédisait la mort du vieux Kpèkpè. Il n’en avait plus pour longtemps. Fort heureusement ! Ce vieillard, racontait-on, avait bouffé de nombreuses âmes du bourg, en complicité avec sa confrérie de sorciers. C’était à son tour de goûter à la mort, après avoir causé tant de torts.

Voici plusieurs mois que Kpèkpè n’était pas sorti de sa case, étendu qu’il était sur son lit en paille, malade, en attendant qu’il rendît son dernier souffle. Son mal étant incurable, inguérissable, son sort n’était voué qu’à la fatalité. Une nuit, transformé en hibou, Kpèkpè sortit de son corps et se rendit à la réunion des sorciers du village, sur un gros baobab, dans la forêt. Ses confrères et consœurs, ayant pris l’aspect de divers animaux, se montrèrent solidaires envers le condamné à mort :

  • – Kpèkpè, tes jours sont comptés. C’est la raison pour laquelle nous avons convoqué cette rencontre en toute urgence. Plusieurs fois nous t’avons suggéré de troquer ton état contre celui d’un membre de ta famille en bonne santé, que ce soit ta femme ou l’un de tes enfants. Comme ça la personne choisie mourra à ta place pendant que tu prolongeras ta vie. Nous sommes sorciers, et tu sais très bien que ce troc est possible. Pourquoi ne le fais-tu pas ?
  • – Je vous l’ai déjà dit, et je vais me répéter encore cette nuit, renchérit Kpèpkè. Mes trois enfants, je les adore ! Ils sont tous à l’Université et vont devenir de grands types demain. Je les aime beaucoup et ne peux prendre la vie d’un seul parmi eux. Ma femme, mon Bébé d’amour, je l’aime plus que ma propre vie. Elle est restée avec moi pendant des années, dans les moments de joie comme de peine. Toto est une épouse formidable qui m’a honoré par sa fidélité. Ne vous inquiétez pas pour moi, amis sorciers, je porte ma croix, prêt à affronter la mort. Je préfère laisser vivre les miens, et mourir dignement.
  • Les confrères de Kpèpkè rentrèrent chez eux après la conclave, déçus de n’avoir pas pu le convaincre de s’accaparer la vie d’un des siens. Quelques semaines plus tard, Kpèkpè, depuis son lit de mourant, remarqua que le ventre de sa femme avait curieusement pris du volume. Incroyable ! Toto était enceinte alors qu’il ne l’avait pas touchée depuis des lustres. D’ailleurs, à partir du déclenchement de sa maladie, son drapeau pénial n’avait plus répondu à l’appel de la salutation de l’hymne matinal du phallus que tous les hommes normalement constitués connaissent à leurs réveils. Il ne faisait aucun doute que Toto avait offert son « toto » à un bouvier. Sa bide étant flagrante, elle ne put faire dans la dénégation et assuma. Au village, tout le monde était au courant du cocufiage dont Kpèkpè faisait l’objet. C’était Sansan, un robuste paysan, qui chauffait fièrement le toto de Toto au point d’en être arrivé à l’engrosser. Quand il lui donnait ses assauts, il rigolait sous les rires de la jeune femme :
  • – Ton mari est un mort-vivant ! Tu as le droit de te faire plaisir. Est-ce qu’il t’a déjà fait l’amour, comme je te le fais, moi ?
  • – Bien sûr que non ! Tu es le meilleur, Sansan ! Défonce-moi ! Allez, plus vite !

Tout alla tellement vite depuis que Kpèpkè découvrit la trahison de sa femme. Elle aurait pu attendre au moins qu’il mourût avant de se jeter dans les bras d’un autre homme. Curieusement, la santé du vieux malade s’améliora, comme par magie, tandis que celle de son épouse dégringola. Toto, de trente ans moins âgée que son mari, perdit toute la vigueur de sa jeunesse et prit subitement un coup de vieille. Amaigrie et très malade, elle succomba. On l’enterra au cimetière du village en présence d’une foule parmi laquelle se trouvaient son amant Sansan éploré, et Kpèkpè, l’ancien malade dont la désormais vitalité faisait penser à celle d’un garçon de 18 ans ! Ses reins s’étaient régénérés, solidifiés. Après l’enterrement, il avait rendez-vous avec la femme de Sansan, la nuit, dans la forêt. Ce serait la deuxième fois qu’il lui chaufferait le toto au milieu des arbres, en plein air, sous les acclamations des hiboux nargueurs…

Louis-César BANCÉ

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