Vive le coronavirus !

Article : Vive le coronavirus !
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15 septembre 2021

Vive le coronavirus !

Notymto, 49 ans, 1 m 90, de beaux muscles en relief sur des bras forts. Un corps athlétique bien que n’étant pas un sportif chevronné. Un corps beaucoup trop élégant pour l’homme d’affaires qu’il était. Il se serait présenté au concours du plus bel homme italien du pays qu’il aurait gagné, haut les mains. Et même Rudy El Kholty, le banquier aux tablettes hallucinantes élu récemment plus bel homme de l’année, aurait capitulé face à lui.

Était-ce sa bourse mastodontesque qui aidait Notymto à avoir une silhouette aussi magnifique ? Aussi mirifique ? Très peu de temps en gym, pourtant, pour l’obtention d’un physique si parfait ! Ah oui, c’était sûrement le résultat des vins exquis, des champagnes dispendieux, de ces repas cinq étoiles partagés dans des hôtels autant five stars. L’un de ses préférés parmi ces palaces, la résidence Five stars de Lampedusa, dans l’archipel de l’Italie, avec sa mer transparente, ses rochers de diamant.

Notymto connaissait l’Italie par cœur, puisque l’avion était son salon, et les hôtels, sa chambre à coucher. Toujours en voyage d’affaires : Turin, Milan, Brescia, Palerme, Venise… Du nord au sud et de l’est à l’ouest, il y allait, sans répit, en s’envolant aussi vers les autres pays du monde. Quel bonheur d’être incessamment Magellan ! Même si ça ne plaisait pas à Loren, son épouse. Ah, Loren !

Il ne se souvenait plus de la dernière fois qu’il avait mangé un repas de sa femme. Il y a trois ans, peut-être bien quatre. Pas de sa faute, Notymto n’avait pas de minute à perdre à la maison, cette grande bâtisse paradisiaque où Loren ne devrait pas trouver à se plaindre. Et pourtant, ses jérémiades étaient interminables au bout du fil lorsqu’elle lui téléphonait alors qu’il était peut-être en dîner d’affaires à Barcelone :

« – Chéri… Je n’ai plus de mot, fatiguée de te parler, de t’interpeller. La maison est terne. Il n’y a pas de famille sans toi. Notre garçon de 8 ans grandit sans te connaître… Il n’y a pas que le travail dans la vie, Notymto.

– Loren, que veux-tu ? Tu as tout à ta disposition à la maison. Mais profites-en ! Si je suis tout le temps parti, c’est pour votre bonheur, à l’enfant et toi.

– Je vois que tu ne sais rien de ce que c’est, le bonheur ! »

Puis, la conversation ne finissait pas sans qu’un interlocuteur n’ait raccroché au nez de son amant. Puis, c’était des jours de statu quo, de long silence. Puis, un matin du 21 février, une pandémie s’installa en Italie, déposant ses premiers bastions en Lombardie, la ville-même où Notymto se trouvait en cet instant, résidant de l’hôtel LCB.

Au début, l’homme d’affaires pensa à une légèreté que les médecins balayeraient d’un revers de la main. Mais assez légèrement, une centaine de citoyens trépassèrent, créant la psychose et dépeuplant progressivement la ville. Cantonné dans sa chambre d’hôtel, Notymto vit disparaitre tous les partenaires avec qui il était prévu dîners et discussions de travail : ils s’étaient repliés tous à leurs domiciles. L’état d’urgence avait été décrété.

Les morts se comptaient par milliers. Le gouvernement imposa même des mesures de confinement à travers tout le territoire. Après quelques semaines à son hôtel, acculé, esseulé, isolé, et face à une situation qui avait coupé les veines à la vie, Notymto envisagea de rentrer. En Lombardie, point d’encrage du virus, il n’était pas à l’abri du corona, cette sale grippe pulmonaire virale. Avec les aéroports fermés, comment pourrait-il bien retourner chez lui ? Les autorités voulaient d’abord lui faire le test de la maladie avant de l’autoriser à utiliser son jet privé.

L’homme d’affaires vit à quel point il était insignifiant, réduit à rien malgré sa fortune. Il était comme tout le monde, avec ce cache-nez respiratoire qui le faisait ressembler à un boucher ou un charpentier. Finalement, il put décoller après avoir été diagnostiqué négatif. Un avion spécial avait quitté le sud de l’Italie, rien que pour venir le chercher au nord-ouest, après des jours et des jours de galère… L’Italie comptait 4 000 morts ! L’hécatombe !

Le coronavirus battait son plein, et Notymto avait retrouvé sa femme et son fils, au cœur de la méditerranée de la Sardaigne, l’air d’être un rescapé. Pour la première fois, les siens et lui passèrent des heures ensemble. De l’évènementiel, les jours qu’ils égrenèrent ensemble. Confinement oblige !

L’homme d’affaires, vêtu de petite culotte, occupait son temps en jouant aux billes avec son garçon, dans le jardin. Après, ils y allaient pour les jeux vidéos. Parfois, c’était des moments de football sous l’arbitrage de son épouse, toute heureuse, toute épanouie. Ils faisaient aussi de la natation, jouaient à trois au jeu du Monopoli, en se disputant au sujet de qui a gagné la partie. Ils se souriaient, riaient, se laissaient trainer au sol, comme des Tarzans. Jamais Loren n’avait connu pareil bonheur que durant ce temps que durait le confinement. Enfin ! Elle avait son mari pour elle. Adriano, son fils, était si surpris de la présence de son père qui s’éternisait à ses côtés qu’il dut en demander les raisons à sa maman :

« – Dis, maman, papa il est là depuis, il ne part plus en mission ?

– Oh, mon fils, papa est encore là tant que le coronavirus est là.

– Tant que le coronavirus est là ? Mais c’est qui, le coronavirus ? Nous ne sommes que trois dans la maison !

– Le coronavirus, ce n’est pas une personne. C’est quelque chose qui nous maintient tous en confinement, ton papa y compris…

– C’est quoi le confinement maman ?

– Le confinement c’est le fait de vivre en réclusion, comme toi et moi l’avons toujours fait.

– Et c’est le coronavirus qui a permis que papa aussi s’ajoute à notre confinement ?

– Voilà ! Tu as tout compris, mon garçon ! »

Adriano réfléchissait, la tête dans les nuages. Maman trouvait qu’il avait compris, mais lui-même ne savait pas si l’idée qu’il se faisait du coronavirus était vraiment exacte. La même nuit, lorsqu’il jouait au catch avec papa dans la véranda, ce dernier le souleva brusquement en lui disant de regarder vers le ciel noir :

« – Tu vois ce qui s’envole là-bas ? C’est une étoile filante ! Et quand elle passe, tu peux formuler un vœu pour être exaucé. Dépêche-toi, quel est ton vœu ? »

Adriano parla fort en regardant vers là-haut :

« – Mon vœu, c’est que le coronavirus reste avec nous longtemps ! Vive le coronavirus ! »

Notymto regarda son fils sans vraiment rien comprendre :

« – Pourquoi tu fais un tel vœu de souhaiter que le coronavirus reste avec nous ?

– Parce que c’est la seule chose qui a réussi à amener mon papa dans cette maison en le gardant longtemps parmi nous, en confinement, en réclusion. Là où maman a échoué malgré ses interpellations, le coronavirus a réussi. Je suis si heureux quand mon papa est là alors je ne peux que dire ‘vive le coronavirus !' »

Un frisson traversa tout le corps de Notymto. Accroupi, le menton sur l’épaule d’Adriano, il serra fort son fils dans ses bras, les yeux embués de larmes. Devant lui se tenait Loren. Elle avait tout entendu et était aussi en pleurs.

Louis-César BANCÉ

Une fiction de LCB

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